Go-Daigo et la tentative impériale
Si les deux invasions mongoles de 1274 et 1281 finissent sur des victoires pour le Japon et le Bakufu Minamoto, ce sont des victoires amères. En effet, l’organisation des défenses de Kyushu a coûté cher au pouvoir et aux seigneurs locaux. D’autant que si les Mongols ne font pas de troisième tentative, les Japonais restent sur la défensive pendant près de dix ans, ce qui a un véritable coût humain et financier.
Le Shogunat Minamoto et les Régents Hojo font aussi face à un autre problème : récompenser les combattants qui se sont illustrés au cours des deux invasions. Et nombreux sont les prétendants aux récompenses, au vu de la quantité de soldats mobilisés. Pour ne pas arranger les choses, les monastères bouddhistes réclament également leur part du gâteau, arguant que ce sont leurs prières qui ont sauvé le Japon en permettant l’intervention divine de la tempête (“kami kaze”, le vent divin). Or, le Shogunat n’a pas les moyens de récompenser tous ceux qui le réclament. En temps normal, une guerre au Japon se ferait au dépend d’un ou de plusieurs seigneurs, et le vainqueur dispose alors souvent de richesses et de territoires confisqués ou conquis à partager et à redistribuer. Mais la défense contre les invasions mongoles n’a rapporté aucune terre supplémentaire, aucune richesse n’a été acquise. En conséquence, le Shogunat se trouve bien embarrassé, ne sachant vraiment quoi faire. Si les grands seigneurs et des monastères obtiennent plus ou moins gain de cause et quelques récompenses à se partager, la majorité des guerriers finissent eux par être ignorés. Cela suscite un profond mécontentement à travers la société guerrière japonaise envers les Minamoto et surtout envers les Régents Hojo.
Ce mécontentement va continuer de sourdre dans la société pendant les décennies suivantes. Et un homme va tenter d’en profiter. Go-Daigo monte sur le trône en 1318. Depuis la prise du pouvoir par les guerriers et l’instauration du Shogunat, les Empereurs ne règnent plus et sont cantonnés à un rôle de représentation. Mais voilà : Go-Daigo, lui, entend bien régner. Dès 1324, il tente une première conjuration. Découverte, ses complices sont arrêtés, mais l’Empereur lui-même est laissé libre et sans sanctions par les Régents Hojo. Son premier échec n’arrête pas Go-Daigo, qui monte une seconde conjuration en 1331. Cette seconde tentative est rapidement démasquée, les Hojo ayant entourés l’Empereur de leurs espions. Acculé, Go-Daigo abandonne son palais à Kyoto et lève une armée. Mais si le Shogunat vacille, ses forces militaires restent imposantes et l’empereur est rapidement battu. Les Hojo l’exilent.
Go Daigo, empereur
Son exil ne met toutefois pas entièrement fin à la contestation. Certains de ses soutiens continuent la lutte en prenant le maquis, notamment Kusunoki Masashige. En 1333, Go-Daigo parvient à s’évader de son exil et rassemble de nouveau des partisans. Une fois encore, les Hojo vont envoyer leurs forces contre l’Empereur, sous le commandement d’Ashikaga Takauji. Les Ashikaga descendaient des Minamoto. Takauji quitta Kyoto en juin 1333 afin d’attaquer l’Empereur. Mais il fit soudain demi-tour et attaqua le quartier de Rokuhara à Kyoto, où se trouvait le quartier général du Shogunat dans la capitale (le Shogun lui-même était basé à Kamakura, dans le Kanto). Ashikaga Takauji venait de trahir le Shogunat au bénéfice de l’Empereur. Ce retournement sonna la fin des Minamoto et des Hojo. Dans l’est, le clan Nitta, mené par Nitta Yoshisada, imita rapidement les Ashikaga et attaquèrent directement le siège même du Bakufu à Kamakura, eux aussi durant le mois de juin 1333. La domination des Hojo sur le pays s’effondra comme un château de cartes, et le clan se suicida en masse. Fin 1333, Go-Daigo pouvait se proclamer le maître et régner.
Statue de Kusunoki Masashige
Malheureusement pour lui, les guerriers venus rejoindre sa cause n’étaient pas toujours – et même rarement – des partisans d’un pouvoir impérial fort. Pour la majorité d’entre eux, il s’agissait surtout de se débarrasser des Hojo et du Shogunat Minamoto, qui s’étaient montrés incapables de satisfaire les revendications de la classe guerrière. Et si le mécontentement sous les Hojo avait duré plusieurs décennies, il ne fallut que quelques mois à Go-Daigo pour s’attirer à son tour la colère d’une partie des guerriers. Car, pas plus que les Hojo avant lui, Go-Daigo n’avait les moyens de récompenser tous ceux s’étant battus pour sa cause.
Et parmi les mécontents, un homme dont le retournement avait déjà causé la chute du régime précédent. Ashikaga Takauji, bien que richement récompensé après sa trahison, eut vite quelques griefs avec l’Empereur. Outre qu’il ne voyait pas vraiment une administration impériale d’un bon oeil, il souhaitait se voir attribuer le titre de Shogun, au moins de manière honorifique. L’Empereur le lui refusa, pour lui préférer le Prince Morinaga.
Les tensions faillirent exploser dès juillet 1334. La rumeur prétendant que le Prince Morinaga cherchait à l’assassiner, Takauji fortifia sa résidence à Kyoto et inonda la ville de ses soldats afin de se “protéger”. Go-Daigo repoussa tout blâme sur son fils, qui fut arrêté par les Ashikaga. Le Prince sera tué par le frère de Takauji, Tadayoshi, en 1335. En août et septembre 1335, une rébellion menée par un Hojo menaça Kamukura, où se trouvait Ashikaga Tadayoshi. Malgré le refus de l’Empereur, Takauji quitta Kyoto au motif de secourir son frère. Puis, au lieu de rentrer à la capitale, il s’installa lui-même à Kamakura. De là, il s’arrogea certains pouvoirs impériaux, notamment en récompensant ses vassaux.
Ashikaga Takauji
Finalement, en décembre 1335, l’Empereur envoya Nitta Yoshisada et ses forces contre les Ashikaga. Malheureusement pour l’Empereur, la classe guerrière se rallia bien plus aux Ashikaga qu’à sa cause, et le conflit tourna à l’avantage de Takauji. Le 16 février 1336, les forces Ashikaga et leurs alliés s’approchèrent de Kyoto. La ville tomba le 23 février, tandis que Go-Daigo était une fois de plus en fuite. Cette victoire n’est que de courte durée, et Ashikaga Takauji se retrouve à son tour battu et s’enfuit au sud, à Kyushu. Il y refit ses forces et en ressortit en juin 1336 pour une nouvelle avancée sur Kyoto. L’Empereur envoya contre lui tant Nitta Yoshisada que Kunusoki Masashige, qui affrontèrent Ashikaga Takauji à la bataille de la Minatogawa, le 5 juillet. Ce dernier remporta une victoire éclatante, tandis que Nitta Yoshisada devait fuir et que Kunusoki Masashige était tué. Les Ashikaga assiégèrent ensuite Kyoto entre le 13 juillet et le 7 août, et finirent par l’emporter. Sous l’égide de Takauji, un nouvel Empereur fut nommé en septembre 1336. Mais cette nomination ne fut pas acceptée par Go-Daigo. Ce dernier parvint à s’échapper une fois encore et à former une Cour dissidente dans les montagnes au sud-ouest de Kyoto. Ashikaga Takauji, de son côté, proclama un nouveau Shogunat dont il prit la tête.
La Cour du sud, comme elle fut appelée, resta séparée de la Cour du Nord pendant près de 80 ans. Elle alterna les hauts et les bas, parvint même à reconquérir militairement Kyoto à plusieurs reprises. Mais chaque victoire militaire était ensuite contrée par les Ashikaga et leurs soutiens. Le conflit s’étendit au-delà de la mort de Go-Daigo en 1339 et de Takauji, en 1358. Go-Daigo transmit le flambeau à l’un de ses fils, qui se déclara Empereur sous le nom de Go-Murakami. Quant à Takauji, il nomma son fils Yoshiakira. Eux aussi mourront respectivement en mars 1368 et en décembre 1367. Le conflit entre les deux Cours durait encore après leur mort.
C’est finalement sous le troisième shogun Ashikaga, Yoshimitsu, que les deux Cours sont réunifiées, au dépend de celle du Sud. La dissidence impériale n’avait plus les moyens de se battre ouvertement, ayant petit à petit gaspillé ses forces. Et si le Shogunat avait été vacillant par moments, il avait toujours réussi à se rétablir. La réunification se fait entre les années 1390 et 1400.
La tentative de restauration impériale menée par Go-Daigo, la restauration Kenmu, échoua et laissa la place à un nouveau Shogunat, dominé par les Ashikaga. Contrairement aux Minamoto, les Ashikaga s’installèrent à Kyoto. Takauji, considérant les difficultés entre l’administration et la classe guerrière, décida de rester à Kyoto pour pouvoir superviser les deux. Ses successeurs restèrent sur son choix. La principale erreur de Go-Daigo est d’avoir considéré que les ralliements de guerriers valaient un ralliement à sa cause et à un pouvoir impérial. En réalité, la majorité des guerriers, hors quelques cas particuliers, n’étaient en rien de fervents partisans d’un tel pouvoir mais manifestaient leur hostilité aux Hojo et aux Minamoto.
Plus aucune véritable tentative de restauration impériale ne sera faite avant la restauration Meiji, en 1868.
Bibliographie :
Julien Peltier, Samouraïs 10 destins incroyables, Editions Prisma, 2016
Edwin O. Reischauer, Japan The story of a nation, Third edition, Alfred A. Knopf, 1964
Pierre-François Souyri, Samouraï 1 000 ans d’Histoire du Japon, Edition du chateau des ducs de Bretagne, 2017George Sansom, A History of Japan, 1334-1615, Stanford University Press, 1958
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