Avant-propos et diplomatie

Nous sommes au XIIe siècle après Jésus Christ. Toute l’Asie est sous domination mongole. Toute ? Non. Un petit archipel, tout à l’est… ne résiste pas du tout, c’est juste qu’il n’a pas encore été envahi. C’est du moins ainsi que le voient les Mongols. Après tout, ne viennent-ils pas de s’emparer d’une grande partie de l’immense et puissante Chine, au point d’en tirer un tel orgueil qu’on ne les appelait plus que les Mongols fiers ? Ô, lecteurs, si vous avez cette référence, bravo.

Alors que le Japon connaît une paix relative sous le Shogunat Minamoto, le continent asiatique connaît de nombreux bouleversements. Les Mongols se sont lancés à la conquête de la Chine, et en 1271, Khubilaï Khan fonde sa propre dynastie, les Yuan. La Corée ainsi qu’une bonne partie de la Chine est désormais sous sa domination. Bien que protégée par le détroit qui le sépare du continent, le Japon n’ignore pas qu’il peut à son tour être menacé.

Ce qui ne tarde pas : les Mongols envoient deux ambassades, en 1266 et en 1268. Les ambassadeurs sont renvoyés par le Bakufu Minamoto sans même une réponse, et les Japonais se préparent à un conflit. En 1271, nouvelle ambassade, suivie d’une quatrième en octobre 1272. Le Shogun fait expulser l’ambassadeur.

Khubilaï Khan

Première invasion – 1274

Sur le continent, les Mongols avaient ordonné en 1268 aux Coréens, Etat vassal, de préparer une flotte d’invasion. La Corée ne put toutefois obéir immédiatement, trop affaiblie par la guerre. Ce n’est qu’en 1274 qu’une flotte pu être apprêtée. Cette première vague comptait 15 000 soldats Mongols, accompagnés par 8 000 soldats Coréens (moins motivés) et 7 000 marins.

L’armada s’empare sans coup férir des îles de Tsushima et d’Iki, avant de débarquer une avant-garde au nord de Kyushu le 18 novembre, à proximité de Dazaifu (actuelle Fukuoka). Alerté par la chute des deux îles, le gouverneur militaire local fit battre le rappel des guerriers de la région et envoya une demande de soutien vers Honshu et le Bakufu à Kamakura. Le 19 novembre, l’armée principale mongole débarqua et commença à avancer vers l’intérieur le jour suivant, visant notamment Dazaifu. La ville tenait lieu de siège au gouverneur militaire. Les guerriers japonais de Kyushu se ruèrent en contre-attaque, mais l’avantage tourna rapidement en faveur des assaillants Mongols. Ces guerriers aguerris se battaient en formation et disposaient d’officiers expérimentés. A l’inverse, cela faisait plus de 50 ans que les Japonais n’avaient plus connu de véritable conflit, et leurs guerriers favorisaient des duels au protocole rigide entre égaux.

Surclassés et bousculés, les samouraïs ne cédèrent toutefois pas. Compensant leur faiblesse par l’avantage du nombre et une frénésie guerrière sanguinolente, ils se jetèrent vague après vague contre l’envahisseur, le ralentissant jusqu’à la nuit. Les perspectives étaient sombres, cependant, pour l’armée japonaise, qui ne semblait plus avoir d’autre option qu’un gigantesque sacrifice dans l’espoir de ralentir suffisamment les Mongols en attendant les renforts de Honshu. Heureusement, inquiets du mauvais temps, les Mongols décidèrent de rembarquer pour se mettre à l’abri. Une tempête les frappa, détruisant et coulant nombre de leurs vaisseaux et les obligeant à retourner en Corée. Au final, environ 13 000 Coréens et Mongols moururent dans cette première tentative.

Le Shogunat ne se faisait cependant guère d’illusions sur un prochain retour des Mongols, et entreprit de lourds travaux tout le long de la côte nord, autour de Dazaifu, érigeant un mur solide.

Dispositif explosif mongol explosant sur le champ de bataille ©Princeton University

Peinture par Richard Hook – Osprey Publishing

Deuxième invasion – 1281

Khubilaï Khan, bien entendu, ne voulait pas en rester là. Mais la Corée était elle-même dans un état pitoyable en raison des efforts fournis, et les Mongols se concentraient alors principalement dans une guerre contre les Song, qui conservaient le sud de la Chine. Une nouvelle ambassade fut envoyée en mai 1275 au Japon, mais les ambassadeurs furent exécutés à Kamakura en octobre.

Les Mongols n’eurent les mains libres sur le continent qu’en 1279. Victorieux, ils réquisitionnèrent la marine des Song, ordonnèrent aux Chinois de fournir une armée de 100 000 hommes, aux Coréens de fournir 20 000 hommes et des navires, tandis qu’eux-mêmes préparaient 50 000 soldats. Finalement, début 1281, l’ordre d’invasion fut donné. Les Coréens tentèrent un premier assaut, seul, contre Tsushima. Mais devant la résistance de la garnison renforcée, ils se retirèrent pour attendre les renforts. La marine chinoise approchant, les Coréens attaquèrent de nouveau, contre Iki, le 10 juin 1281.

L’île prise, ils débarquèrent au nord de Kyushu le 23 juin, au nord de l’ouvrage défensif protégeant Dazaifu. Les Coréens furent toutefois bloqués sur place par une violente contre-attaque japonaise. Les Chinois débarquèrent à la tour, au sud du mur de Dazaifu, mais furent eux aussi incapables d’avancer devant la brutalité de la contre-attaque. Dans un même temps, les Japonais s’attaquèrent aux lourds navires de l’armada mongole à l’aide de petites embarcations rapides. La défense de Kyushu, mieux préparée, permit aux samouraïs de tenir de juin jusqu’en août, saison des tempêtes. Les 15 et 16 août, une nouvelle tempête s’abbatit sur les côtes du Japon, obligeant une fois de plus les flottes chinoises, coréennes et mongoles à se retirer avec de lourdes pertes.

Guerriers Japonais en barque, harcelant la flotte d’invasion mongole

Conséquences et conclusion

Le deuxième échec ne refroidit pas Khubilaï Khan. Ses généraux, en revanche, l’étaient passablement. De plus, l’allié Coréen était à bout et clairement incapable d’efforts supplémentaires. Finalement, les Mongols se détournèrent du Japon pour se concentrer sur le continent lui-même. L’archipel resta toutefois sous la menace, obligeant le Shogunat à maintenir des forces en état d’alerte, à grands frais, pendant plus de 10 ans.

Du côté Japonais, la victoire fut cependant amère. Le Shogunat et les Régents Hojo avaient, pendant près de 20 ans, dépensé d’immenses sommes et de vastes ressources dans la défense du pays, et mobilisé de nombreux seigneurs et guerriers. Or, la récompense habituelle pour services rendus, l’attribution de terre, était ici impossible : aucune conquête n’avait été opérée. Qui plus est, les revendications de récompenses se multipliaient. Non seulement les guerriers et les seigneurs exigeaient compensation pour leurs services – notamment les nobles de Kyushu – mais vinrent s’y rajouter les exigences des temples bouddhistes. Ces derniers revendiquaient être à l’origine de la victoire de par leurs prières, exaucées par les tempêtes.

Le Shogunat de Kamakura et les Hojo étaient incapables de répondre à toutes les demandes de récompenses, et nombreux furent ceux qui ne reçurent rien, ou si peu. Le mécontentement, en conséquence, alla croissant. Nombreux étaient les vassaux du Shogunat qui s’en détachèrent, estimant leur loyauté mal récompensée. Si certaines de ces difficultés pré-existaient aux invasions mongoles, ces deux tentatives les aggravèrent. A terme, ces difficultés déstabiliseront tant le Shogunat et les Hojo qu’elles mèneront à l’effondrement du régime, une quarantaine d’années plus tard.

Bibliographie : 

Stephen Turnbull, The Mongol Invasions of Japan 1274 and 1281, Osprey Publishing, 2010

George Sansom, A History of Japan to 1334, Stanford, 1958

Julien Peltier, Le crépuscule des samouraïs, Economica, 2010

Edwin O. Reischauer, Japan The story of a nation, Third edition, Alfred A. Knopf, 1964


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