Le 18 septembre 1598, Toytomi Hideyoshi, le Régent retiré, le Taiko, meurt finalement au terme d’une vie incroyable. Sa mort met fin à la deuxième invasion de la Corée, envahie à nouveau un an auparavant. Mais plus que tout autre chose, la question de la succession du Singe se pose.
De la succession du Singe
Hideyoshi n’a, durant son règne, absolument pas été contesté. Garantissant aux daimyos leur territoire – du moment qu’ils obéissaient -, il avait su s’attacher leur loyauté dans une large mesure. Même le plus “indépendant”, Tokugawa Ieyasu, avait choisi de faire profil bas et d’attendre son heure. Mais si le Taiko est incontesté… quid de sa succession ? Et, sur la fin de sa vie, c’est bien là que le bat blesse Hideyoshi. Sans descendant direct, Hideyoshi avait choisi d’adopter son propre neveu, Hidetsugu, et l’avait fait nommer “Régent impérial” en 1591, tandis que lui-même devenait “Régent retiré” (Taiko).
La situation change soudainement en 1593. Car, cette année là, la concubine favorite de Hideyoshi, Yodo, lui donne un fils le 28 août. La naissance de l’enfançon, Hideyori, est célébrée dans le pays, et par Hideyoshi plus que quiconque. Mais pour Hidetsugu, la situation devient plus que sensible. Il est l’héritier désigné, mais sa place est désormais instable. Hélas pour lui, Hideyoshi fait courir des rumeurs le faisant passer pour un meurtrier qui tue des paysans, puis l’accuse ouvertement de trahison et de planifier un coup d’Etat contre lui. En août 1595, Hidetsugu se voit ordonner le suicide rituel, ce qu’il accomplit plus ou moins forcé, sous la menace de “père” et de ses armées. Mais la purge menée par Hideyoshi ne s’arrête pas là. Dans un acte de cruauté rarement vu, même à cette époque, Hideyoshi ordonne l’exécution de la totalité de la famille de son fils-neveu. Femme, enfants, concubines, proches… tous sont tués. Au total, 39 femmes et enfants sont exécutés, sans compter les hommes. La brutalité de la décision choque jusqu’au daimyos, qui se gardent bien de protester… mais n’en pensent pas moins.
Toyotomi Hideyori
Hideyoshi, pour sa part, rayonne auprès de son enfant de deux ans, et le nomme officiellement son successeur. Afin de garantir l’avenir de sa lignée, il fait venir tous les grands daimyos et leur fait jurer loyauté non seulement à lui-même mais également à son fils. Mais alors que ses dernières années s’écoulent, Hideyoshi s’inquiètent. Son fils n’est encore qu’un enfant, comment pourra-t-il faire le poids face aux grands vassaux qui survivent encore ? Si la loyauté de Maeda Toshiie semble solide et garantie, ce n’est pas le cas de celle de Tokugawa Ieyasu. Hideyoshi se méfie de ce vieux partenaire, qu’il connaît bien. Si Ieyasu s’est “soumis”, le Singe ne sait que trop bien qu’il saisira toute opportunité qui se présentera à lui. Ne l’a-t-il pas déplacé dans le Kanto justement pour l’éloigner de Kyoto et du pouvoir ?
Un point important à considérer concernant Tokugawa Ieyasu est qu’il est sorti indemne des deux guerres de Corée. Contrairement à la quasi-totalité des daimyos japonais, qui sont sollicités pour envoyer des troupes sur la péninsule, voire y aller eux-mêmes, Ieyasu et le clan Tokugawa ne sont pas mobilisés par Hideyoshi. Pour plusieurs raisons : l’éloignement, puisque les Tokugawa sont désormais dans le Kanto, mais aussi le statut un peu particulier dont dispose Ieyasu. Il est tout de même demandé à Ieyasu de “superviser” le déploiement des forces, et donc de se déplacer lui-même à Osaka, tandis que certains de ses hommes sont déployés à Kyushu pour soutenir l’effort de guerre et de ravitaillement. Un effort bien maigre comparé à ceux demandés (enfin, exigés) aux daimyos du reste du Japon, et principalement ceux de Kyushu, qui sont en première ligne. Tokugawa Ieyasu n’est pas seulement le daimyo le plus riche du pays, il n’épuise pas ses ressources dans ces deux invasions. Tant ses hommes que ses ressources restent quasiment intactes, lui donnant un avantage considérable.
Cherchant désespérément une manière de garder Ieyasu sous contrôle, même après sa mort, Hideyoshi se décide à créer deux institutions. La première, le Go-Tairo, le “conseil des cinq Anciens”, rassemblait les cinq daimyos les plus riches et puissants du pays. Nommément : Maeda Toshiie, Ukita Hideie, Uesugi Kagekatsu, Kobayakawa Takakage et, bien évidemment, Tokugawa Ieyasu. Kobayakawa Takakage, toutefois, meurt alors que le conseil est encore en formation et il est remplacé par Mori Terumoto.
A côté du Go-Tairo, Hideyoshi crée une deuxième institutions : le Go-Bugyō, composé non pas de daimyos, ni même de guerriers mais d’administrateurs civils. Des hommes qui, bien souvent partis de peu, avaient fait preuves de leurs talents d’administrateurs sous le règne du Taiko. Et notamment un certain Ishida Mitsunari.
Le but de ces deux institutions, le Go-Bugyō et le Go-Tairo, était de mettre en place deux groupes chargés d’administrer le Japon pendant la minorité de Toyotomi Hideyori… et de se neutraliser les uns les autres, chaque conseil devant être un contre-poids pour l’autre, et chaque daimyo devant être un contre-poids des autres… et surtout contre Tokugawa Ieyasu. Il est toutefois faux de dire qu’Hideyoshi nomma ces hommes afin de les neutraliser : c’est lui-même qui en avait fait les seigneurs les plus puissants du Japon. Il y avait aussi, certainement, un certain degré de confiance.
Peu de temps après avoir créé ces deux institutions, Toyotomi Hideyoshi, le second réunificateur du Japon, meurt finalement, laissant derrière lui une œuvre gigantesque. Il ne meurt toutefois pas tranquille, et jusqu’au bout, il insiste et fait multiplier à ses vassaux les serments de loyauté jusque sur son lit de mort.
Maeda Toshiie meurt
Pendant un temps, l’organisation mise en place par Hideyoshi avant sa mort tient bon et reste à l’équilibre. La présence de Maeda Toshiie au sein du conseil des Anciens, du Go-Tairo, permet de conserver un calme certain. Le daimyo, alors âgé de 60 ans, est unanimement respecté par ses pairs et était de taille à contre-balancer le pouvoir de Tokugawa Ieyasu. Hélas pour la vision du Taiko, l’âge rattrapa rapidement son vieil associé : six mois seulement après la mort d’Hideyoshi, Toshiie le suivit dans la tombe le 27 avril 1599.
Son fils, Maeda Toshinaga, lui succéda à la tête du clan et au sein du Go-Tairo, mais il ne fallut guère de temps à Ieyasu pour se débarrasser de ce jouvenceau. Prétextant, dès 1599, une tentative d’assassinat contre lui, il accusa Toshinaga avant d’exiger, comme preuve de l’innocence des Maeda, d’obtenir la mère de Toshinaga en otage. Le clan Maeda s’y résolu après de vifs débats, et passa de fait sous la tutelle des Tokugawa.
Etait-ce la fin de la seule opposition à Tokugawa Ieyasu ? Loin de là. Mais l’un des remparts qui le retenait s’était clairement effondré. Dans le même temps, et avant même la mort de Maeda Toshiee, Tokugawa Ieyasu avait repris une pratique très classique de l’ère Sengoku : marier ses progénitures auprès des autres clans… et ainsi fomenter des alliances matrimoniales. Si la pratique était très classique, elle avait toutefois été interdite par Toyotomi Hideyoshi, qui ne voulait justement pas qu’une alliance entre daimyos se forme dans son dos. Dès sa mort, Ieyasu repris ses manigances, mariant une fille à droite, un proche à gauche. Le tout à la grande fureur de ses pairs au sein du Go-Tairo, mais surtout d’Ishida Mitsunari, au Go-Bugyo.
Ishida Mitsunari
Contrairement à Tokugawa Ieyasu, Ishida Mitsunari n’est pas un daimyo “à l’ancienne”. Il est l’un de ces nouveaux venus, ayant grimpé l’échelle sociale sous Hideyoshi en tant que magistrat et administrateur civil, pour ses compétences bureaucratiques plus que pour ses qualités guerrières. Si Hideyoshi fit grand usage de ce type de magistrats, il préférait toutefois les nommer pour une mission précise, si bien que peu d’entre eux firent vraiment “carrière”. Ishida Mitsunari est de ceux-là. Remarqué d’abord pour ses capacités à servir le thé lors de la cérémonie du thé, une pratique très appréciée d’Hideyoshi, il se démarque ensuite en raison de son intelligence et de son véritable talent d’administrateur civil. Ce qui explique sa nomination dans le Go-Bugyo, et la nomination à la tête d’un domaine assez confortable (lui permettant notamment de s’affirmer face aux daimyos).
Ishida Mitsunari
Il est cependant regardé de travers, dans le dos d’Hideyoshi, par maints daimyos : ce n’est pas un militaire, ce n’est pas un guerrier, il ne doit son avancement à aucun exploit. “Pire” encore, il fait partie de la commission de trois magistrats désignés afin d’enquêter sur les actions des armées Japonaises en Corée, notamment lors de la seconde invasion de 1597. Pour les guerriers, être “notés” par des civils est une honte qui ne passe pas. D’autant plus que, peu au fait des choses de la guerre, ils rendent des rapports très froids et critiques, s’attirant de solides inimités. Parmi leurs victimes directes, le jeune Kobayakawa Hideaki, général en chef (bien que surtout de nom) de l’expédition. Sur la base du rapport de Mitsunari, Hideaki voit son domaine confisqué, il est démis de ses fonctions et il ne passe pas très loin de se voir ordonner le seppuku. Seule une intervention de Tokugawa Ieyasu en sa faveur lui permet de rentrer un tant soit peu en grâce et de récupérer une partie de ses biens. C’est peu dire que Kobayakawa Hideaki ne porte pas spécialement Ishida Mitsunari en haute affection.
D’autres généraux, comme Kato Kiyomasa, pourtant vassaux loyaux de longue date d’Hideyoshi, vouent une haine particulièrement forte à l’administrateur, ce qui ne sera pas sans conséquence une fois Hideyoshi mort.
Et justement, maintenant que ce dernier repose dans sa tombe (divinisé par l’Empereur, s’il vous plaît), et que Maeda Toshiie n’est plus là pour maintenir une forme d’équilibre, Ishida Mitsunari voit bien que Tokugawa Ieyasu ne tient plus en place. Il marie, comme nous l’avons vu, ses proches dans différentes familles, il multiplie les approches. Pour Ishida Mitsunari, tout cela est clair : Ieyasu trahit la volonté d’Hideyoshi et veut renverser les Toyotomi en profitant du jeune âge de Hideyori. N’ignorant pas que sa bonne fortune repose essentiellement sur les Toyotomi, Mitsunari n’escompte pas laisser Ieyasu s’imposer. D’aucun lui prêtent, au passage, quelque ambitions. Mais en attendant, Mitsunari se confronte sans cesse à Ieyasu, l’accusant dès qu’il en a l’occasion et cherchant, lui aussi, à rassembler des soutiens.
Toutes ses tentatives ne sont pas couronnées de succès. L’une d’entre elles est même si désastreuse que Mitsunari est forcé d’abandonner Osaka (le siège des Toyotomi) pour se réfugier… auprès de Ieyasu, son ennemi. Ce dernier se fait un malin plaisir d’accueillir son ennemi, contre l’avis de nombre de ses proches qui estiment que c’est le bon moment pour se débarrasser de lui, et de l’aider à reprendre sa place au bout de quelques temps. Ce qui ne change guère, sur le fond, l’hostilité entre Mitsunari et Ieyasu.
Dès 1599, il semble de plus en plus clair qu’un véritable clash va se produire entre ces deux pôles de pouvoirs qui se sont formés. D’un côté, Ishida Mitsunari qui, jouant sur la volonté de Hideyoshi, se pose en défenseur de Toyotomi Hideyori contre “l’usurpateur”. Et de l’autre, Tokugawa Ieyasu, le maître du Kanto, qui multiplie les alliances et les ralliements. Il faut dire que les inimités que s’est créé Mitsunari aident grandement Ieyasu à se trouver des partisans. Ainsi, deux grands vassaux de Hideyoshi, Ii Naomasa et Kato Kiyomasa, se rallient rapidement au maître du Kanto. Ce basculement s’explique non seulement par leur hostilité envers Mitsunari, mais également en raison de leurs querelles avec des daimyos voisins… qui se rallient, eux, à Mitsunari.
Alors que les semaines passent, chaque camp redouble d’efforts pour attirer des partisans. Ieyasu peut compter sur une véritable diplomatie personnelle, il n’est pas juste un daimyo puissant : c’est un homme qui a su, tout au long de sa vie, entretenir de véritables contacts humains et s’attirer des fidélités. Nous avons déjà évoqué le cas de Honda Tadakatsu, ce guerrier et seigneur prodigieux, qui resta loyal toute sa vie durant à Ieyasu. Une loyauté aussi solide n’est pas extraordinaire, mais elle n’est pas non plus commune à cette époque. Trahir pour servir ses propres intérêts était alors quelque chose de très commun et globalement “accepté” (considérant que c’était un comportement commun). Par ses actes, par sa correspondance, Ieyasu montre un certain souci de ses correspondants. Très certainement politique en parti, mais réel nonobstant. Ce qui lui attire bien des loyautés, ou du moins des ralliements : au moment de choisir, nombreux sont les seigneurs qui, pesant leurs intérêts, se décident pour lui en souvenir de ce souci individuel, de l’estime qu’ils peuvent avoir pour Ieyasu.
Non pas que Ishida Mitsunari soit en reste et en soit incapable lui-même. Il su, lui aussi, s’attacher solidement certains daimyos par de véritables marques de respects et des gestes peu oubliables. L’une des histoires les mieux connues reste une réunion entre plusieurs daimyos, à laquelle participait Mitsunari, lors des préparatifs de la campagne de Sekigahara. Parmi les invités, Otani Yoshitsugu, daimyo lépreux. Partageant le thé à cette occasion, Yoshitsugu aurait malencontreusement laissé tomber quelques gouttes de pus dans le bol que s’échangeait les seigneurs, occasionnant une grande gêne pour l’ensemble des participants : boire après lui, c’était risquer la maladie. Ne pas boire, c’était rompre avec le rituel de la cérémonie du thé. Tirant tout le monde d’embarras, et surtout Otani Yoshitsugu, Mitsunari tendit la main, se saisit du bol et en avala le contenu entier, s’excusant ensuite de ses “mauvaises manières” et prétextant la soif. Cet acte valu à Mitsunari l’attachement indéfectible du clan Otani, et de Yoshitsugu lui-même. Mais Mitsunari s’est aussi créé de solides ennemis parmi les daimyos, notamment durant la guerre de Corée, et ceux-là se rangent immédiatement dans le camp de Ieyasu le moment venu.
Ieyasu, toutefois, ne compte pas que des alliés, loin de là. Parmi ses adversaires déclarés, il y a ainsi plusieurs grands daimyos. Ainsi, les Mori qui se rangent plutôt du côté de Mitsunari, ou encore Uesugi Kagekatsu, au nord, qui espère récupérer la province ancestrale d’Echigo, que dominait auparavant Uesugi Kenshin. Son ralliement à Mitsunari cause un véritable souci à Ieyasu : situé au nord, Kagekatsu est en mesure de prendre en tenaille toute offensive potentielle lancée par Ieyasu depuis le Kanto. Constatant, d’ailleurs, que Ieyasu ne respecte pas ses propres obligations, Kagekatsu en fait de même, notamment en renforçant les frontières de son domaine avec des structures défensives. Quand Ieyasu lui fait remarquer que cela viole les ordres du Taiko décédé, le clan Uesugi a beau jeu de lui renvoyer la critique.
La guerre vient
En 1600, la situation est claire : l’explosion aura lieu. Chaque camp se compte. Ishida Mitsunari peut compter sur certains alliés de poids. Comme déjà évoqués, il rassemble autour de lui Uesugi Kagekatsu et Mori Terumoto, le premier au nord et le second complètement à l’ouest de Honshu. Il peut également compter sur Otani Yoshitsugu, Shima Sakon, sur le clan Chosokabe (Shikoku), les Shimazu (Kyushu) – menés notamment par Shimazu Yoshihiro, si redouté qu’on le nommait “Oni Shimazu” : le démon Shimazu -, Konishi Yukinaga (daimyo chrétien – rebaptisé Agostinho) ou encore Ankokuji Ekei. Parmi les ralliés, se comptent également des noms comme Kikkawa Hiroie (vassal des Mori) et, plus surprenant… Kobayakawa Hideaki. Ce dernier tergiverse longtemps, hésitant entre rejoindre Ieyasu ou Mitsunari. S’il déteste le second, en raison des motifs exposés plus haut, Mitsunari lui fait des propositions alléchantes, allant jusqu’à suggérer que Hideaki pourrait bien se voir nommer Shogun par Hideyori.
Ieyasu, pour sa part, peut compter sur ses propres soutiens. Ii Naomasa, un de ses soutiens de longue date des Tokugawa (depuis les années 1570) et l’un des “Quatre Guardiens des Tokugawa” avec Honda Tadakatsu (présent à Sekigahara), Sakakibara Yasumasa et Sakai Tadatsugu, Fukushima Masanori, Todo Takatora, Hosokawa Tadaoki, Ikeda Terumasa, Kato Kiyomasa, ou encore Kuroda Nagamasa. Une partie de ces soutiens, bien que vassaux loyaux d’Hideyoshi, se rallient à Ieyasu par haine de Mitsunari ou de ceux qui suivent ce dernier. Ainsi, Kato Kiyomasa détestait profondément Konisha Yushinaga, dont il était voisin, dont il méprisait le christianisme et avec qui il avait été en rivalité durant les campagnes de Corée.
Bientôt, chaque camp ne se désigne plus que par “l’armée de l’Ouest” pour celle des coalisés de Mitsunari, et “armée de l’Est” pour celle des Tokugawa. Le plan de l’armée de l’Ouest est simple, mais (en théorie) efficace. Uesugi Kagekatsu doit commencer à mobiliser en premier, menaçant le Kanto et forçant dont Ieyasu, alors positionné entre Osaka et Kyoto, à abandonner le centre de Honshu pour rentrer sur ses terres. De là, Mori Terumoto occupera Osaka, forteresse inexpugnable, tandis que le reste de la coalition menée par Mitsunari se ruera à la poursuite des Tokugawa, l’enfermant dans une tenaille pour l’éradiquer.
Toutefois, ce n’est pas comme si Ieyasu n’avait pas connaissance de ce plan. Il arpente les champs de bataille depuis trop longtemps pour ne pas voir ce dans quoi on cherche à le pousser. Il choisit, toutefois, de retourner dans le Kanto à la fois pour mobiliser ses forces et pour se défendre contre une possible attaque des Uesugi. Mais il ne tient pas spécialement à jouer le jeu de ses adversaires. Afin d’assurer ses arrières, il fait occuper la place forte de Fushimia, située à proximité de Kyoto, contrôlant le passage vers l’est. Et afin d’être certain que l’occupant ne lâchera pas la place, il y stationne Torii Mototada, l’un de ses plus vieux camarades. Torii Mototada l’avait accompagné comme page dès son plus jeune âge, et était toujours resté à son service. Ieyasu savait qu’il tiendrait aussi longtemps que possible, mais il savait aussi qu’il condamnait son vieil ami à une mort certaine. Torii Mototada le savait tout autant, et accepta la mission, et s’enferma dans Fushimi avec 1 800 hommes. Ieyasu, certain que Fushimi ne tomberait pas sans combattre et qu’il disposerait d’un certain répit, s’en retourna ensuite à Edo.
Torii Mototada
Constatant le départ de son ennemi, Ishida Mitsunari se décida à agir ouvertement. L’un de ses premiers mouvements fut d’essayer de forcer une partie des seigneurs encore indécis à se ranger à ses côtés. Entrant avec sa coalition dans Osaka, il ordonna que soient saisis et pris en otage toutes les familles des daimyos qui s’y trouvaient encore. Cet ordre, bien que très compréhensible et correspondant aux comportements de l’époque, s’avéra une erreur tragique. L’une des familles restées à Kyoto était celle de Hosokawa Tadaoki. Sa femme, Hosokawa Gracia (chrétienne, d’où le nom “européen”) refusa de se laisser prendre en otage. Ne pouvant se donner la mort, puisque chrétienne, elle ordonna à l’un de ses suivants de la décapiter puis de mettre le feu à sa résidence.
Cet acte eut pour effet final de pousser un certain nombre de daimyo hésitants, dont Hosokawa Tadaoki, directement dans les bras de Ieyasu. Tadaoki et son clan, notamment, se battirent comme des enragés à la bataille de Sekigahara afin de venger la mort de sa femme.
Suite à cet événement tragique, Ishida Mitsunari ordonna à sa coalition d’encercler les résidences des familles plutôt que d’essayer d’en forcer les portes, mais le mal était fait. Dans la confusion qui s’ensuivit, plusieurs familles de daimyos ayant déjà rejoints Ieyasu purent s’échapper, notamment celle de Kato Kiyomasa.
De son côté, Ieyasu est parvenu à Edo sans encombre. Le plan de l’armée de l’Ouest de le prendre en tenaille connaît déjà quelques problèmes. Le principal étant que Uesugi Kagekatsu ne parvint pas à sortir réellement de son domaine : Ieyasu avait coalisé contre lui plusieurs grands seigneurs du nord, dont le fameux Date Masamune. En septembre, cette coalition du nord était parvenue à contenir les tentatives des Uesugi d’attaquer le Kanto. Son flanc nord sécurisé, Ieyasu pu donc entamer un retour vers l’ouest afin de confronter Ishida Mitsunari.
Le siège de Fushimi
Ce dernier avait bien tenté de mettre à exécution son projet de poursuite, mais s’était heurté à la place forte de Fushimi. L’armée de l’ouest y connaît ses premiers déboires : électrisés par Mototada, les 1 800 défenseurs tiennent tête pendant pas moins de 12 jours aux 40 000 hommes qui les assiègent. Les assaillant ne sont pas d’une égale motivation, d’autant que certains se montrent même… d’humeur traître. Ainsi, le jeune Kobayakawa Hideaki qui communique directement avec Torii Mototada et lui propose de le rejoindre avec ses hommes si Mototada lui ouvre ses portes. Hideaki affirme être en contact avec Ieyasu et préparer son retournement. Mototada, craignant une ruse, refuse la proposition. Finalement, après des jours de siège, Ishida Mitsunari s’agace du manque de progrès et s’implique lui-même. Son arrivée, avec des renforts, permet enfin aux assaillants de progresser. Les défenseurs, malgré leur courage, sont à bout et ne parviennent plus à défendre la place. Torii Mototada les entraîne avec lui dans plusieurs sorties désespérées, repoussant encore et encore le flot des assiégeants. Actes héroïques mais vains. Il fait mettre le feu à la place, puis s’enferme avec ses derniers hommes dans le donjon pour se donner la mort avec eux, au milieu des flammes. Pas un défenseur ne se sera rendu. Les planches du donjon, tachées du sang de Mototada et de ses derniers fidèles, seront plus tard récupérées par un temple bouddhiste, et sont toujours visibles.
Planches tachées de sang de Fushimi
Mais les défenseurs ont rempli leur rôle. En fixant à Fushimi, 12 jours durant, l’armée d’Ishida Mitsunari, ils l’ont empêché de se lancer à la poursuite de Ieyasu. Torii Mototada a rempli sa mission, au prix de sa vie.
La guerre étant ouvertement déclarée, chaque camp entreprit de s’attaquer à l’autre, dans tout le Japon. Certains en profitant, bien entendu, pour régler de vieilles querelles ou assouvir leurs ambitions d’expansion.
Bibliographie :
“A History of Japan 1334-1615”, George Sansom, Stanford University Press, 1961
“Japan: The Story of a Nation”, Edwin O Reischauer, Harvard University, 1981
“Sengoku Jidai. Nobunaga, Hideyoshi, and Ieyasu: Three Unifiers of Japan” – Danny Chaplin, 2018
“Hideyoshi”, Mary Elisabeth Berry, Harvard University, 1982
“Le Crépuscule des samouraïs”, Julien Peltier, Economica, 2010
“Toyotomi Hideyoshi”, Stephen Turnbull, Osprey Publishing, 2010
“Shogun, the Life of Tokugawa Ieyasu”, A.L. Sadler, Tuttle Publishing, 2009
“Tokugawa Ieyasu”, Stephen Turnbull, Osprey Publishing, 2012
“The Battle of Sekigahara, the greatest, bloodiest, most decisive samurai battle ever”, Chris Glenn, Frontlines Books, 2021
“Sekigahara, la plus grande bataille de samouraïs”, Julien Peltier, Passés Composés, 2020
“Sekigahara, the final struggle for power”, Stephen Turnbull, Osprey Publishing, 1995
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