Il est un proverbe, au Japon, pour résumer la réunification du Japon. Oda Nobunaga prépare le gâteau, Hideyoshi le cuit et Ieyasu le mange.
Le 21 juin 1582, Oda Nobunaga est acculé au suicide dans le temple du Honno-Ji par la trahison de l’un de ses généraux, Akechi Mitsuhide. Ce dernier se proclame Shogun, office “accepté” par l’Empereur. Le triomphe ne dure toutefois guère : revenu à marche forcé du Japon, Hashiba (Toyotomi) Hideyoshi affronte le traître à la bataille de Yamazaki le 2 juillet 1582. Akechi Mitsuhide, battu, s’enfuit et est tué par une bande de paysans en maraude. Il n’aura guère duré comme Shogun, à peine deux semaines, y gagnant le sobriquet de “Shogun de 13 jours”.
Toyotomi Hideyoshi
Hashiba (Toyotomi) Hideyoshi, grand vainqueur du meurtrier de son maître, Oda Nobunaga, n’a toutefois pas les mains libres. Bien qu’auréolé du fait d’avoir vengé Nobunaga, il se trouve face à fort parti. Déjà, tous les Oda ne sont pas morts : il reste Nobukatsu et Nobutaka. Outre ces deux possibles prétendants, les autres lieutenants de Nobunaga – du moins ceux encore en vie – sont de sérieux obstacles. Et notamment le plus ancien de tous, celui qui a servi Nobunaga avant tous les autres : Shibata Katsuie.
Tous sont des noms illustres, soit de par leur ascendance soit de par leurs exploits militaires. Face à eux, Hideyoshi souffre cruellement de son absence de filiation. Car Hideyoshi est un parvenu. Homme habile et intelligent, bien que malingre et objectivement hideux – au point d’être surnommé le rat et le singe par Nobunaga en public – il s’était fait remarquer de Nobunaga, qui le promeut rapidement dans sa hiérarchie, lui donne un nom (Hashiba), des titres, des terres. Sous la houlette de Nobunaga, et de par sa profonde intelligence et son génie, Hideyoshi grimpe l’échelle sociale. C’est peu dire que l’ascension de ce parvenu est peu goûtée par les autres généraux, et surtout par Shibata Katsuie.
Conférence de Kiyosu – 1582
Quelques mois après la mort de Nobunaga et la victoire de Hideyoshi à Yamazaki, une conférence est organisée à Kiyosu, dans la province d’Owari. Siège du clan Oda, la place doit désormais abriter la première “conférence” de généraux visant à décider de la succession de Nobunaga.
Shibata Katsuie invite à cette conférence les 6 plus grands vassaux connus. Enfin, 5 vassaux et le vieil allié, Tokugawa Ieyasu. On compte notamment (et évidemment) lui-même, Niwa Nagahide, Sassa Narimasa et Hideyoshi. Tous les invités ne se présentent pas. Tokugawa Ieyasu, bien qu’à proximité, préfère s’abstenir et veiller à ses intérêts en Mikawa et Totomi, ainsi que sur les provinces récemment arrachées aux Takeda (Shinano et Kai) en 1582. Sassa Narimasa fut également absent, retenu au loin par des menaces. Ce qui laisse finalement seulement 4 grands vassaux.
Outre les grands vassaux, sont également présents – bien que non acteurs – les deux fils de Oda Nobunaga : Nobukatsu et Nobutaka, car ils en sont le sujet. Qui des deux va succéder à la tête du clan Oda ? Shibata Katsuie soutient la candidature de Nobutaka. Hideyoshi soutient plutôt celle de Nobukatsu. Bien évidemment, nulle partie ne souhaitait céder à l’autre, consciente que la victoire du camp rival impliquerait au mieux une perte d’influence, et au pire une déchéance complète.
C’est finalement Hideyoshi qui trouve une solution. Quittant soudainement la salle de réunion, il revient en brandissant un enfançon : Samboshi (Oda Hidenobu). Le petit homme malingre s’est rappelé un point crucial : Oda Nobunaga s’était retiré officiellement de la position de chef de clan, laissant la place à son fils et héritier, Nobutada. Tout le pouvoir restait à Nobunaga, mais sur le papier, le chef du clan était Nobutada. Et si celui-ci est mort… ce n’est pas le cas de son épouse et de son fils, Samboshi. Vivants à Azuchi, ils avaient été évacués en urgence et ramenés à Kiyoshi avant l’assaut d’Akechi Mitsuhide.
Et en tant que fils du chef du clan, Samboshi était de fait l’héritier “légitime” du clan Oda. Personne n’est dupe dans la conférence : il ne s’agit que d’arguties. Mais ces arguties ont l’avantage d’offrir une porte de sortie “pacifique” à chaque partie. Shibata Katsuie est furieux de s’être fait doubler par Hideyoshi. Mais les deux autres lieutenants présents se rallient à la solution proposée par Hideyoshi. Ce dernier a le génie, pour cimenter la décision, de proposer que Samboshi soit sous la garde de Nobutaka (le candidat de Katsuie), et que Nobukatsu reçoive une partie des terres du clan Oda, dont Owari et donc Kiyosu où doit vivre Samboshi. Shibata Katsuie s’incline. Tous, toutefois, sont conscients qu’il ne s’agit que de partie remise. Rien n’est vraiment réglé, il s’agissait surtout de montrer au reste des seigneurs du Japon un front commun. Shibata Katsuie retourne sur ses terres plus au nord, et Hideyoshi s’établit à Osaka, dont il va faire sa base et qu’il commence à fortifier.
Bataille de Shizugatake – 10-11 juin 1583
Il ne faut guère de temps pour que l’unité de façade éclate. S’il y a bien quelqu’un, en plus de Shibata Katsuie, qui est mécontent de l’issue de la conférence de Kiyosu, c’est Oda Nobutaka. C’est peu dire qu’il est insatisfait. Aussi pétitionne-t-il Shibata Katsuie, lui demandant de soutenir ses prétentions sur le clan Oda. En mai 1583, Shibata Katsuie ordonne donc une série d’assauts contre plusieurs forts au nord de la province Omi et au nord-nord ouest du lac Biwa, tenus par des généraux de Hideyoshi. Venant du nord, d’Echizen, Katsuie devait s’emparer de ces forts pour pouvoir avancer au sud, soit contre Owari soit contre Kyoto puis Osaka. L’assaut fut mené par Sakuma Morimasa, le neveu de Katsuie, qui s’empare de Iwasaki-yama puis attaque Shizugatake. La place résiste toutefois, malgré la mort de son général.
Shibata Katsuie, resté en arrière, s’était entre temps assuré du soutien du clan Maeda et de Maeda Toshiie, qui l’avait déjà soutenu lors de la Conférence de Kiyosu. Le clan Maeda vint s’ajouter aux forces des Shibata. Toutefois, au bout de quelques jours, Maeda Toshiie décida de retirer ses hommes du front. Ce retrait inattendu laissa les forces de Shibata Katsuie dangereusement exposée et surtout étirée sur plusieurs forts, dont le fort de Shizugatake, toujours assiégé par les forces de Sakuma Morimasa.
Or, entre-temps, Hashiba (Toyotomi) Hideyoshi s’était mis en route avec une armée et approchait rapidement. Conscient de la position précaire de ses forces, Shibata Katsuie ordonna à Sakuma Morimasa de battre en retraite et de le rejoindre. Las pour lui, son neveu refusa l’ordre. Hideyoshi, répliqua-t-il, est encore à trois jours de marche, un temps suffisant pour réduire Shizugatake et s’en servir de point d’appui pour défaire Hideyoshi. Un calcul exact… si l’opposant n’avait pas été Hideyoshi. Constatant la situation, le Singe parvint à faire franchir à ses troupes la distance qui le séparait de Shizugatake en à peine une seule nuit, à travers les montagnes et les vallées escarpées.
Bataille de Shizugatake – 1583
Sans même attendre l’aube ni se reposer, Hideyoshi lança ses hommes à l’assaut de l’encerclement de Sakuma Morimasa, le prenant totalement par surprise. Morimasa tenta bien de rallier ses hommes pour une défense, sans succès. Pour Sakuma Morimasa, l’aventure se termine alors en déroute totale, pendant que Hideyoshi ne se prive pas pour organiser une poursuite et ne laisser aucune chance à Sakuma Morimasa mais surtout à Shibata Katsuie de rattraper la déroute. Ce dernier doit se réfugier dans sa forteresse de Kitanosho, avec sa famille et Morimasa. Hideyoshi ne tarde pas à venir l’assiéger.
Il ne faut que trois jours à Hideyoshi pour réduire la place. Entre temps, Shibata Katsuie aura tenté de convaincre sa femme, Oda Oichi, de l’abandonner et de se rendre à Hideyoshi avec ses filles. Oichi refuse, mais ses deux filles sont envoyées vers Hideyoshi avec la supplique de ne pas les tuer. Ce dernier accepte et les adopte. Shibata Katsuie se donne ensuite la mort avec Dame Oichi.
Capturé, Sakuma Morimasa est exécuté. Oda Nobutaka est forcé au suicide par Hideyoshi et par son frère Nobukatsu, qui a entre temps rejoint les forces du Singe. La victoire est complète pour Hideyoshi : son principal opposant déclaré est désormais mort. Ne reste plus sur son chemin que… Oda Nobukatsu. Qu’il soutient “officiellement”, mais qu’il sera simple d’écarter.
Campagne de Komaki-Nagakute – 1584
Ayant vaincu Shibata Katsuie et Oda Nobutaka, Hideyoshi décide de commémorer la victoire en invitant ses vassaux et Oda Nobukatsu à visiter son château d’Osaka, que le Singe vient de terminer. Pour Oda Nobukatsu, cette invitation est un véritable outrage : se rendre chez Hideyoshi plutôt que de voir Hideyoshi venir en Owari implique un renversement de vassalité. Inacceptable pour Nobukatsu, qui refusa l’invitation et interdit à quiconque de sa maisonnée d’y aller. Ni une, ni deux, Hideyoshi s’adressa à trois vassaux majeurs de Nobukatsu pour leur proposer une réconciliation, menant à la rumeur que ces trois vassaux changeaient de camp. Enragé, Nobukatsu fait exécuter ses trois vassaux en mars 1584.
Un tel comportement était une justification suffisante pour que Hideyoshi entre en guerre, ce qu’il s’empresse de faire. Nobukatsu se tourne alors vers le seul homme qui peut l’aider à faire face : Tokugawa Ieyasu. Jusque là, Ieyasu s’était tenu à l’écart des luttes intestines au clan Oda et des lieutenants de Oda Nobunaga. Avec une certaine logique : il n’est lui-même pas du clan Oda, et son statut a toujours été singulier chez les lieutenants des Oda : allié, sans être vassal.
Il n’est pas hostile à Hideyoshi, mais il n’est pas rallié non plus. Il a regardé la bataille de Shizugatake de loin, en homme patient. Car Ieyasu est un homme qui sait attendre : il a failli payer le prix cher de sa précipitation lors du désastre de Mikatagahara en 1583. Tout comme Shibata Katsuie avant lui, Ieyasu connaît la valeur de Hideyoshi. Finalement, le maître de Miwaka se décide à se ranger du côté de Nobukatsu. Les Tokugawa se déploient avec à l’ouest, entrant en Owari afin de soutenir Nobukatsu. Iyeasu se positionne lui-même à Kiyosu à compter du 23 avril 1584, le siège du clan Oda, et se prépare à affronter Hideyoshi, qui vient de l’ouest. Il est rejoint par un autre lieutenant de Nobunaga : Sassa Narimasa. Hideyoshi, pour sa part, peut compter sur le soutien de Maeda Toshiie, prêt à se battre pour faire oublier sa participation auprès de Shibata Katsuie en 1583.
La guerre ne débute pas bien pour Ieyasu : à peine arrivée à Kiyosu, il est pris de cours : la forteresse d’Inuyama tombe aux mains de guerriers ralliés à Hideyoshi. Située au nord d’Owari, à la frontière avec Mino, cette forteresse est importante pour la défense de la province. Ieyasu se rue sur la place le 25 avril et en entreprend le siège. Il ne peut laisser un tel château à la disposition de Hideyoshi. En son absence, Mori Nagayoshi – vassal de Hideyoshi – attaque directement Kiyosu. Il est toutefois repoussé brutalement par Saka Tadatsugu, un général de Ieyasu.
Dans le même temps, des renforts étaient envoyés soutenir Inuyama contre Ieyasu. Ce dernier avait toutefois prévu la manœuvre et avait entre-temps redéployé pendant la nuit Sakai Tadatsugu et un autre général avec 5 000 hommes, bloquant les renforts. Cela lui permet de s’emparer finalement de Inuyama le 28 avril, finalisant son périmètre défensif. Quelques jours plus tard, le 7 mai, Hideyoshi arrive finalement depuis Osaka. La véritable campagne commence.
Enfin, “campagne”. Hideyoshi et Ieyasu s’observent de loin, sans véritablement se lancer à l’assaut. L’un et l’autre savent qu’ils font face à un adversaire à leur mesure, et que toute erreur sera exploitée immédiatement. Ieyasu a vu comment Shibata Katsuie avait été mené au suicide sur la seule erreur de l’un de ses vassaux. Il ne veut prendre aucun risque, et ne laisse aucune ouverture à son adversaire. La situation devient donc un face à face que chaque camp semble reluctant à briser. Des escarmouches ont lieu, mais aucun affrontement majeur. Ieyasu s’est alors repositionné au château de Komaki, donnant la première partie du nom à la campagne.
Dans le campement de Hideyoshi, la situation n’est pas “meilleure” : Hideyoshi est dans la même position que Ieyasu : il ne veut pas donner d’ouverture. Il est redouté, mais Ieyasu dispose de généraux redoutables. Nous avons déjà cité Sakai Tadatsugu, mais il faut aussi compter avec Honda Tadakatsu. Général redouté, Tadakatsu est aussi un guerrier monstrueux qui se bat souvent en première ligne. Il est connu et reconnu comme l’un des meilleurs guerriers de tout le Japon (le bougre aura, à la fin de sa vie, participé à plus de 80 batailles sans recevoir de blessure majeure).
C’est finalement Ikeda Tsuneoki qui propose à Hideyoshi une ouverture : Tokugawa Ieyasu et ses forces sont en Owari. S’il est là, c’est qu’il n’est pas ailleurs. Cet ailleurs se trouvant être Mikawa, sa province natale. Tsuneoki suggère d’envoyer une troupe contourner le face à face et ravager Mikawa. S’il veut défendre sa terre natale, Ieyasu devra reculer, ouvrant une opportunité à Hideyoshi. Le plan est approuvé, et une colonne de troupe menée par Mori Nagayoshi et Ikeda Tsuneoki entreprend le contournement, attaquant les forts tenus par les Tokugawa sur leur passage.
Ieyasu ne tarda pas à apprendre qu’il se faisait déborder. Bien entendu, il compris aussi le but du plan : le forcer à reculer et à s’exposer à une charge soudaine de Hideyoshi. Mais quel choix avait-il ? Laisser Mikawa, le siège de son pouvoir, être ravagée ? Ieyasu fit alors un pari risqué : diviser ses forces. Lui-même et plusieurs généraux s’en iraient attaquer la colonne d’Ikeda Tsuneoki, et une autre force serait chargée de stopper, ou du moins de ralentir Hideyoshi. Honda Tadakatsu fut chargé de cette tâche prométhéenne.
Campagne de Komaki-Nagakute
La manœuvre, quoique risquée, fut un succès. La colonne avait été ralentie par la résistance inattendue de certains forts, laissant à Ii Naomasa (un autre général de Ieyasu) l’opportunité de la bloquer. L’arrivée des renforts de Ieyasu sonna la fin de la colonne, qui dut se retirer avec de lourdes pertes. Ikeda Tsuneoki perdit la vie dans les affrontements. Pendant ce temps, Hideyoshi tenta bien d’avancer, mais fut bloqué par Honda Tadakatsu. Reconnaissant son adversaire, Hideyoshi décida de reculer. La victoire contre Tadakatsu était possible, mais aurait été chèrement payée. Finalement, à l’issue des manœuvres, le face à face reprend : nul n’est parvenu à reprendre l’avantage. Ieyasu retourna à Komaki regarder Hideyoshi dans le blanc des yeux.
Finalement, Hideyoshi s’en retourna personnellement à Osaka, tandis que Ieyasu rentrait à Kiyosu, leurs armées continuant le face à face et les tentatives. La guerre s’éternisa jusqu’en novembre 1584. En octobre, Sassa Narimasa et Maeda Toshiee s’affrontèrent, au profit du deuxième, sans toutefois briser le statu quo. Finalement, en novembre, Hideyosi parvint à un accord négocié avec Oda Nobukatsu, laissant Ieyasu comme seul belligérant. Ayant perdu toute raison de se battre, Ieyasu négocia à son tour la paix avec Hideyoshi. Bien qu’ayant globalement eu le dessus (de peu) dans les engagements les plus cruciaux, Ieyasu décida de laisser la prééminence à Hideyoshi, conservant comme avec Nobunaga un statut un peu particulier, pas vraiment vassal, pas vraiment obéissant… mais quand même.
Unification du Japon – 1590
La soumission de Oda Nobukatsu et celle de Ieyasu laissent Hideyoshi en position de force. Il lui reste certes une bonne moitié du Japon à conquérir, mais plus personne n’est en mesure de l’arrêter. Shikoku, que ses seigneurs se disputent depuis plus d’un siècle, tombe en seulement trois semaines d’une campagne éclaire modèle en 1585. En août 1585, les provinces d’Etchu et d’Hida plient devant pas moins de 100 000 hommes menés par Hideyoshi. Sassa Narimasa, qui a pris les armes avec 20 000 hommes, doit finalement se rendre. En 1586, c’est au tour de Kyushu de tomber aux mains de l’ancien paysan. Le singe s’empare de l’île en profitant des discordes des clans l’occupant. Les Shimazu s’étendaient vers le nord. Leurs adversaires implorèrent Hideyoshi, qui ne se fit pas prier. Bien que surclassés en nombre, cette fois-ci par 200 000 guerriers, les Shimazu firent face et remportèrent quelques succès, bénéficiant notamment de leurs tactiques peu orthodoxes. Les Shimazu étaient en effet l’un des seuls clans à attaquer régulièrement de nuit, ou à simuler des retraites tactiques pour entraîner l’ennemi dans une embuscade un peu plus loin. Mais la masse seule suffisait, et les Shimazu durent à leur tour se soumettre.
A ce stade, il ne reste plus que le nord du Japon pour échapper au contrôle du Singe. Et notamment le clan Hojo, maîtres du Kanto. Leur capitale, Odawara, était si fortifiée qu’il était jugé suicidaire de s’y attaquer. La place forte avait même été renforcée à partir de 1587. Pas de quoi décourager le Singe, qui envahit le Kanto en 1590 et s’empara des forts des Hojo les uns après les autres. Pire encore, ceux-ci comptaient que Tokugawa Ieyasu s’opposerait à Hideyoshi. Ieyasu préféra le rejoindre, scellant son statut de “vassal”, et les forces Tokugawa ajoutèrent leur nombre à celles d’Hideyoshi. Ce sont pas moins de 220 000 hommes qui assiégèrent Odawara. Les Hojo n’avaient toutefois pas chômé : clan richissime et puissant, ils avaient rapatriés la totalité de leurs hommes au sein de leur capitale. 82 000 hommes défendaient désormais les murs. Hideyoshi regarda la place… et se contenta de l’encercler étroitement, avant de faire bâtir un véritable camp, de faire venir prostituées et artistes afin de divertir ses troupes. Et d’attendre. Longtemps. Le siège dura pas moins de trois mois, le temps qu’il fallu pour que la garnison épuise ses provisions. Pendant ce temps, Hideyoshi organisait la soumission des derniers seigneurs du nord, et notamment du terrible Date Masamune, le “dragon borgne”, qui accepta enfin de courber l’échine.
Finalement, au terme d’un siège ayant duré de mai à août 1590, Odawara tomba. Le clan Hojo se suicida en masse, signant le triomphe définitif de Toyotomi Hideyoshi. Le soir de la victoire vit une scène inhabituelle. S’étant emparé, enfin, du Kanto tout entier, Hideyoshi prit avec lui Ieyasu et monta au plus haut de la forteresse conquise. Là, il proposa à cet “allié” incertain de lui offrir les 8 provinces du Kanto. Une offre généreuse : ces provinces étaient richissimes. En échange, Ieyasu devait abandonner Mikawa, Totomi, Shinano et Kai. Abandonner sa terre natale, la source de son pouvoir, et s’installer en terre étrangère. Ieyasu vit bien la manœuvre : il gouvernerait une terre bien plus riche que ce qu’il possédait alors… mais il ne bénéficierait pas immédiatement de la loyauté des locaux. Or, l’une de ses forces était son lien avec les guerriers de Mikawa et de Totomi, qu’il menait depuis longtemps. Finalement, Ieyasu accepta.
Conclusion
Maître de tout le Japon, soit directement soit en ayant vassalisé les seigneurs encore existant, Hideyoshi vient de parachever l’œuvre de son maître Nobunaga. Le petit paysan malingre et laid est désormais le maître incontesté d’un pays réunifié. Triomphe suprême, il est reconnu par l’Empereur lui-même, qui lui offrit en 1585 le nom de “Toyotomi” – un moyen de le rattacher à la famille impériale et d’avoir un “véritable noble” à la tête du pays. Toujours en 1585, l’office de “daijo-daijin” (chancelier) lui est attribué. Pour la première fois en plus d’un siècle, le Japon est en paix.
Mais pour combien de temps ? Hideyoshi n’a pas encore d’héritier, seulement un neveu qu’il adopte, et il se fait déjà vieux. Au loin, Tokugawa Ieyasu vient de se déplacer dans le Kanto, s’installant dans le petit village de pêcheurs d’Edo pour en faire sa capitale. Il attend son heure, patiemment. Et le Japon, le gâteau, cuit.
Bibliographie :
– “Japan, the story of a nation”, Edwin O. Reischauer, 1981
– “A History of Japan 1334-1615”, George Sansom, 1958
– “Sengoku Jidai. Nobunaga, Hideyoshi, and Ieyasu: Three Unifiers of Japan” – Danny Chaplin, 2018
– Shogun: The Life of Tokugawa Ieyasu, A.L. Sadler, 2009
– Hideyoshi, Mary Elizabeth Berry, 1989
– Tokugawa Ieyasu, Stephen Turnbull, Osprey Publishing, 2012
– Toyotomi Hideyoshi, Stephen Turnbull, Osprey Publishing, 2010
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