La guerre d’Onin :
Après l’instauration du Shogunat Ashikaga par Takauji, et son renforcement par son fils Yoshimasa et son petit-fils Yoshimitsu, qui mis finalement un terme au conflit entre les deux branches de la famille impériale, le Shogunat pu enfin administrer un Japon plus ou moins revenu à la paix. Yoshimitsu, installé à Kyoto, profita de la paix enfin revenue pour se faire construire son propre manoir pour sa retraite. Richement décoré de feuilles d’or, le manoir est connu sous le nom de Kinkaku-Ji, le “pavillon d’or”.
Yoshimitsu meurt finalement en 1408. Selon la coutume déjà utilisée par les Empereurs et la dynastie shogunale précédente, il s’était retiré du pouvoir en 1394, bien que conservant en réalité le pouvoir comme Shogun retiré. La dynastie des Ashikaga continua son existence, passant successivement à Yoshimochi (1386-1428) puis Yoshikazu (1407-1425). A la mort de Yoshikazu, toutefois, le Shogunat se retrouva bien embêté : le Shogun n’avait eu aucune descendance. Finalement, il fut décidé par tirage au sort de mettre au pouvoir Yoshinori, un fils de Yoshimitsu. Le choix du “Shogun tiré au sort” ne fut pas très heureux, car Yoshinori se révéla un véritable tyran. Il régna de 1329 jusqu’au 12 juillet 1441, date de son assassinat. En plus d’être le premier Shogun ouvertement assassiné, Yoshinori avait sérieusement abîmé l’image du Shogunat aux yeux de nombreux clans. Après Yoshinori vint son premier fils, Yoshikatsu (1434-1443), qui ne régna qu’une année. Puis vint Yoshimasa (1436-1490). Ce dernier est souvent blâmé pour être l’un des responsables de la Guerre d’Onin, mais il faut aussi prendre en compte la dégradation progressive du prestige du Shogunat Ashikaga, depuis Yoshimitsu jusqu’à Yoshimasa en passant par l’épisode Yoshinori.
Kinkaku-Ji, la “maison d’or”
Pour mieux comprendre le déclenchement de la Guerre d’Onin, il faut comprendre les bases du régime Shogunal. Le Shogun – dictateur militaire – dirige le pays depuis le quartier de Muromachi à Kyoto. Il s’appuie pour se faire sur divers représentants en région : les Shugo et les Jito, gouverneurs militaire et civil en région. Le Shogun s’appuie également sur plusieurs “Kanrei”, vice-shogun en titre, et notamment le Kanto Kanrei en charge de la zone turbulente du Kanto, et le Kyoto Kanrei, poste d’une grande importance. Initialement attribués au mérite, ces postes devinrent de plus en plus souvent des récompenses accordés à de grandes familles, renforçant leur autonomie et affaiblissant d’autant le pouvoir effectif du Shogun.
A l’époque du Shogun Yoshimasa, le poste de Kyoto Kanrei passait successivement entre les mains de trois clans : Hosokawa, Yamana et Hatakeyama. Ce troisième clan, toutefois, connu une lutte de succession à partir du milieu des années 1440. Cette lutte s’étendit sur la décennie 1450 et plus tard encore. Ce conflit interne au clan ne resta cependant pas interne très longtemps. Le Shogun se montrant incapable de clôre l’affaire, les clans Hosokawa et Yamana s’en mêlèrent.
Ashikaga Yoshimasa
Les Yamana, en particulier, étaient jaloux de la position dominante des Hosokawa, dirigés par l’habile Hosokawa Katsumoto. Yamana Sozen entreprit de rallier à sa cause autant de partisans que possibles. Et intervenir dans la lutte interne du clan Hatakeyama faisait partie de ce plan. La manœuvre fonctionna d’autant mieux que Yamana Sozen parvint à convaincre le Shogun d’interdire à Hosokawa Katsumoto d’intervenir en faveur de son propre candidat. Ce qui ne régla rien en soit, et les Hatakeyama continuèrent de se battre.
Pour complexifier encore plus l’ambiance, Ashikaga Yoshimasa ne souhaitait pas gouverner. Etre Shogun ne l’intéressait guère. Dès les années 1460, Yoshimasa cherchait à démissionner, mais il lui fallait un remplaçant. Sans fils, il parvint à convaincre en 1464 son frère, Yoshimi, de le remplacer. Bien entendu, en 1465, la femme de Yoshimasa lui donna enfin un fils, Yoshihisa. Le Shogun Yoshimasa promit à son frère, Yoshimi, qu’il ne reviendrait pas sur sa parole, mais sa femme fut furieuse que leur fils ne soit pas le successeur désigné.
De leur côté, les Hosokawa, de plus en plus menacés par les Yamana, entreprirent à leur tour de rallier des partisans. La course aux soutiens se transforma rapidement, en 1467, en course à qui disposerait du plus d’hommes armés dans l’enceinte même de la capitale, les deux clans entreprenant de fortifier leurs résidences.
La situation n’explosa toutefois pas immédiatement, le Shogun ayant proclamé que le premier à attaquer serait désigné “rebelle”, ce qui restait encore une menace à peu près suffisante pour calmer les ardeurs des plus belliqueux. Du moins pour un tant. Finalement, en juin 1467, le clan Hosokawa attaque soudainement une résidence du clan Yamana. Le feu est mis aux poudres, la capitale s’embrase immédiatement. Le conflit ne se limite pas aux clans Yamana et Hosokawa, avec les Hatakeyama au milieu (le clan continuant sa propre guerre interne tout en prenant part au conflit). Chaque clan appelant ses soutiens, les clans externes à la capitale y entrent à leur tour depuis la province. Pire encore pour le Shogun, ces clans emmènent ensuite avec eux le conflit en province, et le feu prend un peu partout. Soit par intérêt dans le conflit, soit par pur prétexte, de nombreux seigneurs utilisant l’excuse pour régler leurs propres comptes.
Dans Kyoto même, les deux camps ne parviennent pas à prendre l’avantage l’un sur l’autre, et se retranchent en conséquence sur leurs propres positions, creusant des tranchées et transformant les résidences en véritables places fortifiées, jusque sous les fenêtres du Shogun et de l’Empereur, dont les palais manquent de brûler. Le Shogun, quant à lui, devient presque complètement ignoré, malgré ses ordres de cessez-le-feu. La capitale se transforme en champ de bataille et de ruines, pendant dix ans, la guerre durant jusqu’en 1477. Tant Yamana Sozen que Hosokawa Katsumoto moururent en 1473, sans que cela ne vienne interrompre la guerre.
La lassitude des belligérants permit à Yoshimasa, toujours Shogun (malgré ses velléités démissionnaires), de négocier un accord qui mit fin aux combats dans la capitale même en octobre 1477. La guerre d’Onin prit ainsi fin. Ses conséquences, en revanche, durèrent bien plus longtemps.
Hosokawa Katsumoto et Yamana Sozen
Conséquences et suite :
Les lecteurs qui ont lu sérieusement se rappelleront ici ce que sont les Jito, et surtout les Shugo, ces gouverneurs civils et militaires de régions censés faire appliquer la politique du Shogun et veiller à ce que les taxes soient bien récoltées. Un Shugo pouvait être en charge de plusieurs régions, ce qui entraîna le développement de grands clans régionaux. Pour compenser leur puissance, les Shogun Ashikaga exigèrent que les Shugo vivent à Kyoto. En conséquence, et afin de disposer de représentants locaux, les Shugo instituèrent des Shugodai, des vice-Shugo, chargés de l’administration en leur absence.
Avec la guerre d’Onin, l’autorité du Shogun sur les régions et les seigneurs s’est effondrée. Nombreuses étaient les ambitieux, les tensions, les disputes. Ce qui était plus ou moins gardé sous contrôle avant 1467 échappa complètement au Shogun et les seigneurs donnèrent libre cours à leurs ambitions. Ce ne fut pas le cas que des seigneurs, d’ailleurs. De nombreux Shugo furent eux-mêmes renversés par leurs propres vassaux, y compris par leurs propres Shugodai. Le Japon sombra dans un désordre généralisé, nul n’étant plus vraiment à l’abri.
Certains seigneurs parvinrent à garder le contrôle de leurs terres, voire même à l’étendre. D’autres s’effondrèrent sous les assauts de leurs voisins et face à la trahison de leurs proches. Des aventuriers connurent la gloire et la richesse, y compris des roturiers. Hojo Soun, fondateur de la dynastie des Hojo du Kanto, commença sa carrière avec uniquement sept samouraïs sous ses ordres. Saito Dosan, maître de la province de Mino, était initialement un marchand d’huile avant de renverser son suzerain et de se proclamer maître de Mino. Dans les provinces, le pouvoir revint à ceux capables de le prendre et de le conserver. Ces seigneurs, anciens comme nouveaux, furent qualifiés de “daimyos” (littéralement : “les grands noms”). Les décennies après la guerre d’Onin virent la multiplication de ces seigneurs quasiment indépendants, dominant entièrement leur propre domaine avec leurs propres lois et armées, ne répondant à nulle autre qu’eux-mêmes. C’est la fameuse Sengoku Jidai.
Le shogunat Ashikaga ne se remettra pas de la guerre d’Onin, et malgré quelques tentatives, il va pérécliter lentement, jusqu’à sa disparition en 1573 après une dernière tentative de restauration par le “dernier” Shogun Ashikaga face à Oda Nobunaga.
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